
2017 – Quand la lutte féministe faisait entendre sa voix – #WhereIsMyName
Le 5 juillet 2017 est lancée une campagne sur les réseaux sociaux à l’initiative de Laleh Osmany qui par ce mouvement redonne aux femmes leur identité, leur prénom. Je ne suis pas fille de, je m’appelle, j’ai un prénom. Il n’est pas perdu, il n’est pas un déshonneur pour ma famille, il est mon identité.
#WhereIsMyName – où est mon prénom, lutte contre l’effacement du prénom des femmes, qui disparaît tout au long de leur vie, et parfois des enfants ne connaissent pas celui de leur mère. Ce prénom, c’est la liberté qui signe ma vie. Vivre et non survivre, mourir à petit feu, mon corps de sable jusqu’à la tombe, où mon prénom sera là aussi absent.
Un naissance, des certificats ne le mentionne pas et le jour du mariage, il n’est pas inscrit. Seuls le prénom du père et de l’époux sont mentionnés. Une femme, elle n’est pas.
En 2017, Bahar Sohaili, écrivaine afghane, explique « On nous appelle celles aux cheveux noirs, les faibles, les tantes ».
2020 – une victoire pour les femmes afghanes , trois ans après le lancement de la campagne #WhereIsMyName, elles ont dorénavant leur nom inscrit sur les actes officiels. Ce droit acquis après trois ans de lutte, ainsi que ceux durement gagnés, vont-ils s’effondrer en ces instants d’histoire où les talibans sont le pouvoir présent en Afghanistan ?
Afghanistan – 15 août 2021, tout s’efface à nouveau pour des millions de femmes. Elles manifestent pour la liberté, leurs enfants près d’elles. Les poings se lèvent et leur voix crie : liberté !
Tout risquer pour elle, la liberté car elle est la vie et que nous ne pouvons être cette vie, celles vivantes que si la liberté est là sur notre sol, comme elle coule dans nos veines, comme le soleil dans notre cœur, la source de nos rêves, la définition de notre humanité. Elle s’unit à la Terre et l’ocre et le rouge du sable de nos territoires, y sont son sang à elle, liberté. Ce sable se mêlant à l’eau au reflet du ciel bleu, mon corps est bien celui-là, vivant, dansant, libre !
Rien ne peut l’effacer, si ce n’est tuer notre humanité. Nous serons alors cet écho qui chantera toujours d’une montagne à l’autre : je suis libre, je m’appelle liberté.
Afghanistan – Tirs à balles réelles contre des manifestations pacifiques de femmes
Dès le 15 août dernier, des manifestations se sont formées pour lutter contre le pouvoir des talibans, contre la mise en danger de la liberté, pour protéger les droits des femmes , les droits humains. Les femmes afghanes marchent, bravent la violence par leur courage, par une volonté déclarant « je ne céderai jamais ». Ne pas céder face à la haine qui pleut en coups forts et lourds contre les manifestations pacifiques répandant ce vent de liberté qui ne peut s’éteindre. il est ce feu, cet air pur dont nous avons besoin pour vivre.
Le Bureau des droits de l’homme de l’ONU, alerte vendredi 10 septembre sur le fait que « La réponse des talibans aux marches pacifiques en Afghanistan est de plus en plus violente. les nouvelles autorités ont utilisé des balles réelles, des matraques et des fouets, faisant au moins quatre morts« . Les rassemblements pacifiques sont interdits depuis mercredi dernier et sont considérés actuellement comme « illégaux ». Une décision qui menace d’autant plus les manifestants pacifiques.
https://twitter.com/saberibrahimi/status/1435753267049418766?s=19
La violence des autorités à l’égard des femmes manifestant pacifiquement a donné lieu à plusieurs rapports indiquant que « les Talibans ont de plus en plus recours à la force contre les personnes qui participent aux manifestations ou qui en rendent compte« , alerte lors d’une conférence de presse, ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat des nations Unies aux droits de l’homme (HCDH).
Ce sont quatre manifestants qui ont été tués lors de manifestations, les Talibans tirant à balles réelles. Ce sont également des femmes manifestant qui sont battues, arrêtées , ainsi qu’au moins 15 journalistes harcelés, menacés. Mercredi 8 septembre à Kaboul dans le quartier de Dashti-Barchi, alors que se rassemblent des manifestants, essentiellement des femmes, au moins 5 journalistes, alerte l’ONU, ont été arrêtés. Deux d’entre eux ont subi des violences physiques durant plusieurs heures.
Des faits de violences graves se sont également produits à Faizabad, dans la province de Badakhshan, où se déroulait une manifestation organisée par des femmes. Les Talibans se sont violemment opposés au rassemblement pacifique de ces femmes en tirant « des coups de feu en l’air au-dessus de leurs têtes » avertit l’ONU. C’est aussi d’ autres manifestations ce mercredi 8 septembre qui sont violemment réprimées alors que des femmes expriment leur droit de manifester pour la liberté. Dans les provinces de Kapisa et de Takhar, les militantes pour la liberté sont présentes et plusieurs d’entre elles manifestant à Kapisa ont été arrêtées.
Les Talibans investissent aussi des maisons qui sont fouillées les unes après les autres à la recherche de personnes ayant participé à des manifestations, indiquent les services de Michelle Bachelet, Haut-commissaire. D’autre part, la répression organisée toujours plus fortement et s’appuyant sur la déclaration d’interdiction de manifester, attaque directement les journalistes qui se voient être menacés. Un rapport témoigne que l’un d’eux s’est entendu dire « alors qu’il recevait un coup de pied à la tête », « Vous avez de la chance de ne pas avoir été décapité », informe la porte-parole du HCDH. Elle précise qu’il s’agit d' »actes d’intimidations à l’encontre des journalistes qui essayaient simplement de faire leur travail. » Continuant dans une volonté de réprimer le droit de manifester et d’informer, les Talibans coupent les moyens de communication , l’accès à internet sur les téléphones portables dans certains quartiers à Kaboul, alerte l’ONU.
Les femmes afghanes militant pour le respect des droits humains subissent une violence inouïe qui cherche à anéantir toute expression de la liberté, toute voix de la paix. On plonge dans l’obscur de l’humanité, dans cet incompréhensible chaos niant toute vérité , tous droits à un être humain car il est une femme. Des femmes afghanes qui depuis plusieurs années se battent pour le respect de leurs droits et qui ont acquis ceux-ci au prix de longs efforts, ne renonçant jamais, pensant à toutes les filles qui doivent grandir sans subir la violence patriarcale , celle qui abîme notre monde, celle qui détruit des vies .
La voix des femmes et des hommes, artisans de paix, est étouffée par les talibans et Mme Shamdasani exprime que « les Afghans – femmes et hommes – descendent dans la rue pour demander pacifiquement que leurs droits humains soient respectés en ces temps de grande incertitude – y compris le droit des femmes à travailler, à se déplacer librement, leur droit à l’éducation et de participer à la vie politique – il est crucial que ceux qui sont au pouvoir entendent leur voix« . Le HCDH appelle « Les Talibans à cesser immédiatement l’usage de la force et de la détention arbitraire contre ceux qui exercent leur droit de protester pacifiquement et les journalistes qui couvrent les manifestations« , rappelant que « les restrictions générales aux rassemblements pacifiques constituent une violation du droit international, tout comme les coupures d’internet, qui violent généralement les principes de nécessité et de proportionnalité« .
Il serait surprenant que les Talibans entendent la voix de l’équité, de l’égalité, des droits humains, de la paix – celle qui réconcilie et donne vie à une véritable justice sans laquelle ne peut être la liberté.
Lettre à la liberté – «Je m’appelle Yasmin » de Fédora Hélène
Sous le voile noir, je vois la vie. Les fleurs au printemps, c’est simples choses libres. J’ai peur et je tremble et j’avance. Je ne sais plus vers où. Je m’assois un instant, le temps de savoir que j’ai le droit de rêver. Je me lève, chaque jour debout, marchant sans m’arrêter jusqu’à l’épuisement. Je sauve ma vie.
Je ne suis pas née pour vivre les doux présages du bonheur, et aujourd’hui mon corps disparait sous un voile noir, immense comme les ténèbres. J’ai froid, j’ai peur, je tremble.
Entendras-tu ma voix, toi au lointain habitant les vertes prairies accueillant tes rires, quand je verse les larmes de mes yeux à la fontaine de tous les espoirs, je me vois dans ce miroir qui se trouble au vent, que le silence pour témoin. Mon visage est interdit. Je suis une femme.
Pourquoi, je cache mon sourire tout est si triste, que je lève le poing et crie liberté le son des balles pour m’accompagner, le bruit des tirs pour foule de la manifestation. Et, je cours, je pars. Je m’écroule, c’est ainsi qu’est le dernier jour, venant sans prévenir. Ce matin, je ne savais pas et pourtant le cœur serré, je marchais vers la liberté.
Donne-moi une chance d’être libre lorsque je suis en vie. Donne-moi, toi au lointain que je ne verrai jamais, toi dont j’ignore le nom, toi que j’imagine quand l’espérance avance et que la douleur trop puissante frappe ma vie.
Je dénoue le voile et mes cheveux deviennent cette cascade jaillissant sur mes épaules, frôlant mon visage, habillant mon corps. Tu le sais toi ce que signifie la liberté. Je me cache pour laisser danser mes mains jouant à l’oiseau et je m’envole vers toi, trouver ta main et la serrer si fort contre mon cœur qui alors n’aura plus peur.
Je voulais étudier, découvrir le monde, je voulais te parler sur une place où personne ne me menacerait de mort car tu me donnes la main. Je ferme les yeux et tape dans mes mains ton prénom que j’invente pour rendre le ciel bleu, et voyager en dansant au soleil couchant. Je suis une ombre. J’ai appris à disparaître. Dis- moi la liberté, dis-moi la paix, est-ce cela ? Mon corps se sentant vivant, tournoyant sans s’arrêter au milieu des montagnes, lançant au sommet ses espoirs.
La nuit achevée, viendra-t-il le temps de la délivrance ? Ma Terre, son sable d’ocre et de rouge, je l’aime. J’y suis pour vivre, et le drame m’apprend que je survis. Puis, je suis morte.
Afghanistan, tout est allé si vite, tout a basculé. On reste là, les avions ne décollent pas pour nous et nous dessinons sur les murs ces milliers de poings levés pour la liberté. J’ai cousu ce drapeau, c’est lui qui m’habille, même si dehors tous ne voient de moi que l’ombre noire sur le sol et le soleil ne caressant jamais ma joue de sa chaleur.
Je m’appelle Yasmin. Mon prénom, je ne le connais pas. Il ne se prononce pas. J’ai été effacée. Je voudrais le graver sur un arbre pour qu’il puisse le garder pour trace de mon identité, pour qu’il soit murmuré par le chant d’un oiseau, par ceux qui le découvriront.
Personne ne connaît le prénom d’une femme, on nomme les choses, mais une femme est nommée par le nom de celui à qui elle appartient. Les tombes des femmes sont celles aux lettres mortes n’inscrivant jamais leur prénom. Elles sont ces perpétuels fantômes de la vie à la mort.
Ferai-je la différence, si ce n’est que je pourrais penser être libre une fois morte, loin de ces hommes qui font de ma vie, ce trait invisible, ce nulle part. Pourtant, j’aime tant mes frères. Mon père, pourquoi tout cela ?
Je ne suis jamais rentrée voir les lumières de vos salles des fêtes, de vos théâtres, de vos opéras. Je ne peux imaginer que le son transperçant de mon humanité quand l’écho de votre liberté vient frapper à la porte de mon chagrin pour me réconforter.
Fermer les yeux et toucher les tissus de soie, le bois sculpté, les pierres et cette silhouette d’une femme nue que vos peintres dessinent. Je pourrais être elle, je pourrais poser sur la toile mon corps pour qu’il s’échappe des prisons de violences qui le blesse.
Je pourrais vivre. Je m’appelle Yasmin.
© Fédora Hélène

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